par R.M. RILKE à Margot Sizzo (16.XII.1923)
… Cette fois-ci, j’y ai fait une découverte particulière : des châles de cachemire de la Perse et du Turkestan, tels qu’on en voyait prendre une valeur touchante sur les épaules des nos arrière-grand-mères ; des châles au centre rond ou carré ou étoilé, avec un fond noir, vert ou blanc ivoire, chacun d’eux un monde en soi, vraiment, oui, chacun un bonheur complet, une félicité entière et peut-être un entier renoncement, - chacun tout cela, tout tissé d’humain, chacun un jardin dans lequel tout le ciel de ce jardin, raconté en même temps, était contenu, comme dans le parfum du citron probablement, l’espace tout entier, le monde tout entier se communique, que l’heureux fruit a ingéré jour et nuit dans sa croissance. Comme il y a des années, à Paris, les dentelles, j’ai compris soudain, devant ses tissus déployés, l’essence du châle ! Mais la dire ? Autre fiasco…
C’est peut-être seulement ainsi, seulement dans la transformation que permet un lent et tangible travail manuel, que réussissent des équivalents complets, silencieux, de la vie, à quoi le langage n’aboutit jamais que par des périphrases, à moins qu’il ne réussisse quelquefois à s’obtenir, dans un appel magique, sur telle ou telle face plus cachée de l’existence demeure, dans l’espace d’un même poème, tournée vers nous.
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